Est-il possible d’accélérer la mise en œuvre des accords multilatéraux sur le développement durable ? Nous avons posé cette question à Nadine Gouzée engagée dans des projets de la Fondation pour les Générations Futures depuis ses origines. Elle estime que l’adoption récente et l’utilisation créative des Objectifs de Développement Durable (ODD) peuvent accélérer cette mise en oeuvre. Par tous, y compris par les gouvernants, dont le manque de volonté politique pendant ce quart de siècle est généralement considéré comme la barrière principale à cette mise en oeuvre. Mais elle est aussi freinée par les cloisonnements entre enjeux sociaux, environnementaux, économiques et institutionnels entretenus par beaucoup d’autres acteurs. Y compris par des acteurs scientifiques dans l’enseignement supérieur et la recherche sur les questions systémiques de soutenabilité. Les décloisonnements sont pourtant possibles puisque, par exemple, la plateforme internationale HESI (2012) rassemble des outils d’évaluation et d'apprentissage transversaux de plus en plus performants. Il est aussi possible que les ODD aident à développer de tels outils scientifiques pour charpenter des visions commune « à 360 degrés » sur Notre avenir à tous. Comment ? D’où sortent ces ODD ?
1. D'où viennent les ODD ?
Le cadre dans lequel ont été définis les Objectifs de Développement durable (ODD) vient de loin (1992), même si leur adoption est relativement récente (2015/2016). Ce cadre est celui des premiers textes d’accord « multilatéraux » engageant les Nations Unies à rendre le développement de la planète « durable ». Il couvre dès le départ toutes les questions de développement et d’environnement à 360 degrés. Il contient déjà des objectifs et des principes transversaux qui sont toujours d’actualité, comme les principes de participation, d’intégration, de responsabilité, d’équité intra- et intergénérationnelles, de précaution …
Mais ce cadre initial est encore relativement flou (moyens absents ou peu précis, formulations rendues obscures par trop de compromis,…). Il englobe une matière complexe, comme par exemple celle de la diversité biologique, difficile à expliquer. Il faut donc deux décennies de travaux multilatéraux relativement lourds pour le préciser et le clarifier progressivement. Et pour le défendre aussi car chaque réouverture de négociation fournira des occasions de retour en arrière aux gouvernants qui estiment que leur modèle n’est pas négociable. Il faut aussi faire connaître ce cadre. Le thème du dérèglement climatique émergera d’abord sporadiquement dans les pages « environnement » des médias, en 1997 avec les négociations du Protocole de Kyoto, puis en 2001 suite au refus de Bush Junior de ratifier ce Protocole, puis en 2007 avec les Vérités dérangeantes et le prix Nobel de la paix d’Al Gore et du GIEC... Mais d’autres problématiques très importantes seront nettement moins médiatisées, comme les changements de modes de consommation et de production ou la protection sociale, mettant directement en question le modèle économique et ses impacts sociaux.
C’est alors que face à cette lenteur, en réponse à la réduction fréquente du développement durable aux seules questions environnementales, voire au seul thème du climat, émerge progressivement l’idée d’Objectifs de Développement Durable (ODD) universels. Son but est de rendre accessible et opérationnel un message de changement sociétal concret et complet. Ce besoin d’un langage universel ainsi « objectivé » sur le développement durable est surtout porté par la société civile, en particulier les groupes de jeunes, et par des négociateurs d’Amérique latine (l’Union européenne ayant, depuis la Commission Barroso, perdu son leadership politique historique en cette matière). Le besoin d’ODD est finalement reconnu dans l’accord négocié en 2012, à la deuxième conférence de Rio sur le développement durable (conférence appelée Rio+20).
2. Que disent les ODD et quelle est leur force ?
Rio+20 relance donc en 2012 les travaux de la communauté internationale sur la transition vers un développement durable en donnant le feu vert à la négociation d’une gamme d’ODD assortis de cibles (ou sous-objectifs) mesurables. L’Avenir que nous voulons, nom du document agréé à Rio+20, donne le ton du mandat confié aux constructeurs de ces ODD. Des instances centrales de l’ONU balisent le nouveau terrain de négociation et veillent à ce que ces objectifs couvrent toutes les dimensions du développement durable, qu’ils soient bien orientés vers l’action, concis, facilement communicables, limités en nombre, mesurables et, surtout, « universels », c’est-à-dire applicables à tous les pays et pas seulement aux pays dits « en développement ».
La définition des ODD selon ces critères résulte d’un travail largement collaboratif de deux années, conduit par un groupe de représentants de plus de 70 pays, en parallèle de consultations nationales plus nombreuses encore, pour impliquer le plus directement possible les citoyens dans ce processus mondial. Aucun processus participatif n’est jamais parfait mais dans celui-ci, des efforts encore inédits à l’échelle mondiale ont été faits. Sur le plan conceptuel, ce processus a montré notamment que la séparation des concepts de « développement humain » et de « développement durable » n’a pas de fondement, même si ces distinctions sont encore entretenues par de nombreux cloisonnements institutionnels. Le Programme de développement durable 2030 de l’ONU encadre donc les objectifs sociaux, environnementaux, économiques et institutionnels liés à ces deux concepts dans un même réseau d’efforts interdépendants pour les réaliser.
Cette interdépendance des ODD dans une approche intégrée « à 360 degrés » est symbolisée ci-dessus par une tresse circulaire enlaçant les cinq « P » ou valeurs-clés que chacun des 17 ODD concerne directement ou indirectement: People (l’humain aujourd’hui, les valeurs de dignité et d’égalité), Planet (notre planète, la protection des ressources et du climat pour les humains de demain), Prosperity (la prospérité en harmonie avec la nature), Partnership (les partenariats y compris le partenariat mondial) et enfin Peace (la paix rendue possible par des sociétés justes et inclusives).
3. Quels sont les ODD et comment peuvent-ils être utilisés?
La série d’ODD adoptée par la Communauté internationale le 25 septembre 2015 est définie à deux niveaux : d’abord les noms des 17 ODD du nouveau programme de développement durable, ensuite la définition de la dizaine (environ) de cibles qui rendent la réalisation de chaque ODD au moins partiellement mesurable. La série comporte un total de 169 cibles à réaliser au plus tard en 2030 pour l’ensemble du programme. Ces « 17 objectifs pour transformer notre monde » se trouvent notamment sur le site de l’ONU, avec leurs 17 pictogrammes de plus en plus connus.
Chacun de ces pictogrammes résume en deux trois mots le nom complet de l’un des 17 ODD. Pour des raisons de communication, ces titres réduits sont parfois d’une brièveté obscure (ODD15 : Vie terrestre) ou biaisées (ODD12 : Consommation et Production Responsables, alors que le vrai nom est Etablir des modes de consommation et de production durables).
Il n’est pas possible de passer en revue dans cette lettre tous ces objectifs, d’autant plus que certains ont fait l’objet de discussions particulièrement âpres, comme l’ODD8 : Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous. C’est le cas aussi de l’ODD13 : Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions. L’ODD13 a du être défini complémentairement à l’Accord de Paris (COP21, 2015) lequel fut adopté… deux mois après l’adoption des ODD.
Par ailleurs, les interactions entre tous ces ODDs font déjà l’objet de nombreuses études sur les probabilités de synergies ou contradiction (trade-offs) entre eux. A cet égard la Lettre n°5 – Juillet 2017 – de la Plateforme Wallonne pour le GIEC identifie par exemple les interactions entre l’ODD climatique et les 16 autres ODD de l’Agenda 2030. Adoptés comme outil politique au départ, les ODD permettent donc aussi de délimiter plus systématiquement des domaines à explorer et sur lesquels construire de nouveaux outils scientifiques, voire même de structurer ou d’orienter des agendas de recherche plus ambitieux.
Utiles aux grands groupes sociaux comme aux décideurs publics à tous les niveaux, et déjà largement utilisés par eux, les ODDs devraient donc pouvoir aider aussi la communauté scientifique à développer de nouveaux outils pour contribuer aux visions « à 360 degrés » et aux grands débats sur Notre avenir à tous.